Médecine générale

Lecture

mardi 1er mai 2007, par youkou


-Jocelyne-
Tu entres dans le magasin, un regard gauche, timide et tu me souris. Je ne digère pas ces attitudes mielleuses, on ne sait jamais si c’est sincère. Tu as l’air de t’en foutre, le casque sur les oreilles. Je ne comprends pas ces gens qui font aboyer leur musique, tout le monde en profite. Tu es jeune, la faute au manque de respect. Tu seras sourde plus tard, ton médecin ne te l’a jamais dit ?
Tu passes devant moi, ton sac semble lourd avec tes patins qui y pendent. Ca me fait penser que ma fille adorait en faire jusqu’à ce qu’elle se fracture le poignet. Depuis ils sont au grenier.
Dans l’allée, tu vas, tu t’accroupies et prends un livre. J’en ai horreur, je les encaisse, ils passent au tapis, je leur dis adieu et je ne m’en porte pas plus mal. Toi, tu les touches, j’ai même l’impression que tu les sens. Tu restes devant eux presque toute admirative, t’es grave. Ton téléphone sonne, tu ne réponds pas, tu ne l’entends. Tu as même reçu un message vocal.
Quand tu fais la queue, tu portes la main à ton baladeur, tu as dû le mettre sur pause, je n’entends plus rien. C’est à ton tour. Tu me dis bonjour et me tends le bouquin gaiement comme si ton passage à ma caisse allait changer ma vie. T’es naïve ma pauvre !
Je le tourne une première fois côté code barre et une seconde pour le titre. Bip.

- « Six euros et quatre-vingt dix centimes s’il vous plait madame »
Tu me tends un billet de dix, je te rends la monnaie.

- « Merci, bonne journée »

- « Merci, au revoir »
Tu déplies le plastique. Tu embarques La maladie de Sachs.

Pour toi qui l’as lu, tu me diras si j’ai réussi…

Pour te présenter ce livre, c’est tout ce que j’ai à dire, qu’un jour on part au magasin et qu’on tombe sur le bon.
Physiquement, tu ne vas pas l’aimer : il est gros, y’a pas d’image, pas beaucoup de saut de ligne et il se corne. Tout pour plaire ! Puis tu t’y mets, tu retrousses ces rides qui marquent la fatigue, tu épingles la paupière aux sourcils et tu es paré. En fait tout ça pour aller simplement dans une salle d’attente, c’était bien inutile.
J’ai adoré, il m’a déstabilisé : avancer à l’aveuglette. Je m’explique ? L’énonciation est parfaite, tu t’accroches à chaque page tournée. Tu es le narrateur, Il est la chose regardée et racontée, tu es « je » et il est « tu » . Tu fais parti des patients, et quoi de plus simple d’être malade puisque tout le monde l’a été un jour ou l’autre, quoi de plus simple donc de se mettre au moins pour un chapitre à la place de… On découvre un docteur qui soigne qui écoute qui tend la main et qui se dévoile petit à petit. Il écrit, il tombe amoureux, il est lui, il est l’auteur, Martin Winckler.
Je m’attendais à une histoire, j’ai eu des anecdotes, des témoignages très humains, très vrais, et j’ai beaucoup rit aussi. Si j’avais un quelconque savoir littéraire, je comparerais bien cette œuvre à du Zola, presque, on est bien d’accord, presque. Pour ce qui touche à l’humanisme, aux misères profondes de l’homme, ses faiblesses et ses erreurs : il est mauvais, malin et doux, attentif, vicieux et égoïste.
Alors à lire oui sinon je ne t’en parlerais pas, c’est comme une expérience, tu n’en sors pas transcendé mais un peu plus ouvert, compatissant envers les différentes parties. Tu comprends aussi que l’écriture est le chemin de la guérison, elle aplatit les choses et te remet sur pied, sauveuse d’une certaine maladie de Sachs.
Va faire la queue, c’est pas si long que ça, trois personnes devant toi, la bronchiolite, la clavicule cassée et l’arrêt maladie.

à toi, mon bon généraliste

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