Quatre jours que nous errons en Espagne, il est grand temps de se mettre sur le chemin du retour.
C’est ainsi que nous rencontrons, l’Océan, cette mer Cantabrique, qui ne remue pas, bleue et transparente, elle bluffe le touriste, lui raconte des tempêtes alors qu’il n’en est rien. Berméo, ô doux rêves…
Il est bien des lieux que j’ai découverts et des paysages que j’ai admirés : Zarautz dans toute sa splendeur, fille unique et capricieuse, riche et trop aimé, Zarautz la bourgeoise, belle sous toutes les coutures mais si superficielle. J’attendais aussi des châteaux gouvernés par Henri aux malles remplies de trésor, j’attendais ces villes baignées dans une histoire, marquées par le peuple, et ces auberges où l’on se désaltère à n’importe quelle heure de la journée.
Berméo me réconcilie avec ces terres. Son nom sur une carte, j’y pointe le doigt.
Berméo, ma joie, mon fantasme…
Elle ressemble à la Sicile des magasines, un port, un accordéon, je lui dirai bien bonjour mais je ne suis pas sur le pont des Arts, une langue, un fossé, un sourire pour toute expression. Sans le rendre, l’accordéon pianote les touches, respire cette mélancolie que j’aime tant. Souffle mon beau et bouge tes hanches. Léo Ferré fredonne mais je ne la connais pas,
« Le piano du pauvre
Se noue autour des reins
Sa chanson guimauve
Ça va toujours très loin
Car il n’est pas chien
Toujours il y r’vient
Il a la pratique
C’est pour ça d’ailleurs
Qu’les histoir’s de coeur
Finiss’nt en musique  »
Tôt le matin, il n’y a encore personne, les gens n’aiment pas le matin où les couleurs t’abrutissent. Au bout de la digue, je m’émerveille, deux horizons différents, à l’Ouest, cet azur lointain, et l’Est au soleil qui s’éveille, déjà si fort, aiguisant le sommet des montagnes.
Allongée, je regarde le ciel, il me fait l’amour, me pénètre délicatement dans cette chair ouverte à son unique beauté. Les nuages parsemés se transforment en des milliers de dessins, bossus et aériens, rasant sa peau de près et laissant les rayons de la destinée lui rappeler qu’il n’est rien, ô mon nuage.
Comme pour la montagne, je me heurte à se soucis de vocabulaire, où les mots ne sont plus rien, rien qu’un flot d’espoir et de mémoire.
Je ferme les yeux, une vague se brise puis une autre et encore une autre, une mouette plonge sur le repas, elle déploie ses ailes, le vent attise Izaro, belle île en mer. Je suis chez moi, je sens le bigorneau de là -bas et la vase, ces parfums de marchés qui attendent les bateaux, le plus beau c’est qu’il n’y a ni marché, ni bateau. Il pêche, lance sa ligne, ils sont énormes, dans la transparence, ils sont énormes. Les vagues claquent sur la digue, j’entends encore l’accordéon, il donne la main au vent. Et une femme promène son abuela sur le front de mer, c’est vrai qu’on pourrait y déposer ses ultimes pensées, ses ultimes regrets, elle n’en a pas l’abuela, la tête haute.
Olives, piments, harengs.
Pendant que je piétine un de nos ministres, au petit café du coin, les vieux parlent fort et font partis du paysage, ils racontent leurs enfants et leurs voisins, comme partout. Je ne comprends pas, vélocité de la langue !
L’instant à Berméo est infini, intemporel, « en dehors du temps et de l’espace, ample comme l’aurore  »